Reconstitutions corono-radiculaires : vers un changement de paradigme ?

La reconstitution des dents dépulpées est un véritable challenge en pratique quotidienne. En effet, les principes d’économie tissulaire, les techniques modernes de retraitement endodontique et de collage nous permettent de repousser toujours plus les limites de conservation de la dent dépulpée. L’étape ultime passe souvent par la mise en place d’un tenon radiculaire et la réalisation d’une coiffe périphérique.

Or, il est prouvé que le taux de survie des dents dépulpées est intimement lié à la quantité de tissus dentaires résiduels, et que la mise en place d’un tenon, bien qu’à visée reconstructrice est un élément fragilisant, souvent pourvoyeur de fractures radiculaires [1].

Les différentes reconstitutions corono-radiculaires (RCR) sont représentées par des techniques directes (dites par matériaux insérés en phase plastique ou RMIPP) ou des techniques indirectes (inlay-core). Dans tous les cas, le tenon radiculaire assure le soutien de la portion coronaire de la reconstitution, elle-même support de la coiffe prothétique. Ce tenon n’a donc qu’un rôle de rétention, et ne renforce aucunement la dent. Au contraire, la présence d’un tenon radiculaire est un facteur fragilisant de par la transmission des contraintes qu’il diffuse au cœur même de la racine.

Cependant, certains facteurs peuvent jouer un rôle fondamental dans la prévention des fractures radiculaires. Parmi eux, nous détaillerons ici les principes d’économie tissulaire, le module d’élasticité et le collage, mais aussi la notion de cerclage afin de permettre au praticien d’évaluer et d’optimiser le pronostic des dents fortement délabrées.

Le choix du type de reconstitution corono-radiculaire

Il est communément admis que l’évaluation des parois dentinaires résiduelles après préparation périphérique externe est le facteur principal de choix de la RCR. [2]

Ainsi, les RMIPP sont indiquées lorsque la dent présente 2,5 voire 2 parois, et que la mise en place d’un champ opératoire (digue) est possible pour assurer les procédures de collage dans les meilleures conditions d’étanchéité.

En-deçà de 2 parois résiduelles ou en cas de limites cervicales trop profondes pour garantir une parfaite isolation, l’inlay-core trouve traditionnellement son indication.

L’application stricte de ces règles élémentaires oriente donc préférentiellement dans le cas de perte tissulaire modérée ou importante vers la réalisation d’inlay-core (Fig 1a,b).

L’économie tissulaire

La réalisation d’une RCR implique des étapes de préparation coronaire et radiculaire

Comme dans la plupart des domaines de l’odontologie, les principes d’économie tissulaire doivent toujours être privilégiés afin de ne pas affaiblir une dent déjà fortement délabrée par la carie ou la fracture.

Au niveau coronaire, un maximum de structure dentinaire doit être conservée. La préparation périphérique externe doit être minimale pour conserver des épaisseurs de parois supérieures à 1 mm. Le choix d’une RMIPP doit être privilégié chaque fois que possible afin de s’affranchir de la mise de dépouille interne obligatoire lors de la réalisation d’un inlay-core.

Au niveau radiculaire, il est préférable d’utiliser seulement le diamètre du canal élargi par le traitement endodontique. Dans le cas de RMIPP, le concept de tenon flottant permet d’assurer une rigidité de l’ensemble composite/core sans mutilation excessive. Le diamètre du tenon varie généralement de 0.8 à 1,2 mm. Le recours à des techniques de collage permet quant à lui de limiter la longueur intra-canalaire entre 5 et 7mm. L’utilisation de tenons actifs (type screw-post) est formellement proscrite du fait de la création de tensions internes et de fractures par éclatement.

Dans le cas des inlay-cores, la règle de longueur traditionnelle est celle des 2/3 de la longueur totale radiculaire en respectant les 5 mm d’étanchéité endodontique apicale. Cette dimension supérieure à celle des tenons fibrés utilisés pour les RMIPP est justifiée par l’utilisation de matériaux métalliques à haut module d’élasticité. Une plus grande longueur permet alors de disperser la contrainte sur un maximum de surface. Dans tous les cas, le tenon doit s’arrêter avant une courbure. L’utilisation de tenons anatomiques et passifs permet d’éviter d’utiliser et de fragiliser la racine en imposant la forme du foret travaillant au canal (tenons calibrés ou normalisés) [3]. Il faut ainsi noter que les forets à bout non travaillant (type Largo®) sont à privilégier pour éviter les fausses routes.

Enfin, l’utilisation d’ancrages multiples (clavettes) est totalement proscrite du fait d’une mutilation excessive et inutile ainsi que par la création de tensions inter-radiculaires qu’elle occasionne (fig2).

Module d’élasticité et collage

L’avènement de nouveaux matériaux aux propriétés mécaniques proches de la dent permet de recréer une unité comparable à la dentine coronaire et radiculaire résiduelle. En ce sens, les RMIPP actuelles sont composées d’un tenon en fibres de verre ou de quartz et de composite micro-hybride à prise duale. En dépit de propriétés mécaniques intrinsèquement faibles, leur homogénéité structurelle assure une résistance plus importante tout en étant favorable à l’amortissement des contraintes et à une diffusion atténuée dans la partie cervicale (fig3).

A contrario, l’utilisation de matériaux à fort module d’élasticité (métal, zircone) favorise la transmission des contraintes et une diffusion dans l’extrémité même de la racine, fragilisant ainsi l’organe dentaire et augmentant les risques de fracture radiculaire [4].

L’émergence de matériaux usinables hybrides en composite fibré (Numerys GF Itena©) est prometteuse dans l’optique d’inlay-core esthétiques et moins rigides (fig4).

Enfin, le recours aux techniques de collage participe également à l’amortissement des contraintes [5]. L’adhésion étant beaucoup plus incertaine au niveau radiculaire qu’au niveau coronaire, du fait de la modification structurelle de la dentine et de la réduction du nombre de tubulis dentinaires, il est préférable de ne pas chercher à coller au-delà de 5 à 7mm intra-canalaire. Cela va aussi dans le sens de l’économie tissulaire et justifie un peu plus l’utilisation de tenons fibrés collés. Cependant, ce bénéfice semblerait diminuer avec le temps, probablement du fait de la diffusion de fluides via le foramen apical ou les canaux accessoires [6].

Le cerclage

D’un point de vue sémantique, le cerclage ou « ferrule effect » est la partie circonférentielle de la coiffe prothétique qui repose sur la dentine cervicale, et qui assure le sertissage et la protection de la dent. C’est donc un bandeau cervical de matériau prothétique (métal, céramique ou autre) qui entoure la dent. Par analogie, le cerclage est assimilé à la zone de dentine résiduelle au niveau de la limite cervicale.

Le cerclage est un facteur protecteur-clé dans la prévention des fractures radiculaires.

Son rôle est double :

  • Il renforce la résistance à la fracture en s’opposant à l’effet de coin lors de la mise en place d’un tenon.
  • Il protège la dent des forces occlusales et latérales qu’elle reçoit lors de la fonction en les dispersant dans toute la dent. En son absence, l’intégralité des forces est transmise au tenon et diffuse donc profondément dans la racine, générant fissures et fractures.

Ainsi, quand le cerclage est efficace, les forces masticatoires, particulièrement latérales sont moins transmises au tenon et par conséquent à la racine. Ceci a pour effet de diminuer le risque de descellement et de fracture radiculaire.

La préservation de cette dentine cervicale, en hauteur, en épaisseur et en localisation joue donc un rôle prépondérant. Il est communément admis que les parois de dentine résiduelle doivent mesurer 1,5 à 2mm de hauteur sur toute la périphérie de la dent pour résister aux contraintes occlusales et à la mise en place d’un tenon [7].

En parallèle, le cerclage prothétique doit avoir une limite ou un appui strictement dentaire et respecter l’espace biologique parodontal.

En l’absence de ce cerclage sur les 1,5 à 2mm prérequis sur la totalité de la périphérie de la dent, se pose toujours la question de son efficacité.

Au travers de la littérature, il apparaît plusieurs conclusions :

  • Un cerclage de 1 mm double la résistance à la fracture par rapport à l’absence de cerclage [7].
  • En présence d’un cerclage périphérique d’au-moins 2 mm, le choix du type de RCR n’influence pas le pronostic de conservation de la dent [8].
  • Un cerclage périphérique partiel est bénéfique par rapport à l’absence totale de cerclage.
  • La localisation de la dent influence le taux de survie des dents dépulpées porteuses d’un ancrage radiculaire, du fait de l’exposition à des forces occlusales différentes. Les dents antérieures maxillaires sont les plus exposées [9].
  • La paroi absente est fondamentale dans la détermination de l’efficacité du cerclage.

Ainsi, la présence de la paroi palatine des incisives maxillaires est protectrice car elle s’oppose aux forces antéro-postérieures qui sont les plus fréquentes et les plus fortes [10]. Il en est de même pour la paroi vestibulaire des incisives et canines mandibulaires.

Au niveau des prémolaires (particulièrement maxillaires), le ratio largeur mésio-distale/vestibulo-linguale est défavorable anatomiquement. La préservation du cerclage lingual est donc capitale.

Dans les secteurs postérieurs, où les forces sont essentiellement verticales, l’interruption du cerclage est moins préjudiciable. 

  • Le schéma occlusal joue un rôle significatif, particulièrement sur les prémolaires maxillaires en fonction de groupe (la fonction canine décharge les forces latérales appliquées aux prémolaires maxillaires) [10].

Malheureusement, la dentine cervicale manque souvent du fait de reprises carieuses, de fractures ou de préparations périphériques trop mutilantes,

Les solutions pour recréer le cerclage sont peu nombreuses : traction orthodontique ou élongation coronaire chirurgicale. Même si la première est une solution de choix, elle est souvent écartée par les patients car longue et contraignante. De même, les techniques d’élongation coronaire ont un prix biologique (sacrifice osseux, ouverture des furcations, etc.) et esthétique (perte de l’alignement des collets) non négligeable.

Il apparaît donc que l’existence d’un cerclage est un facteur-clé de la conservation d’une dent, au même titre que le facteur endodontique ou parodontal ; et que son absence contraint souvent à l’extraction.

Pendant de nombreuses années, une orientation mécaniste a poussé les praticiens à rechercher une augmentation de la rétention à tout prix par l’utilisation de tenons actifs, toujours plus larges, plus longs ou plus nombreux.  Leur utilisation n’a pour conséquence que l’augmentation du nombre de fractures radiculaires par mutilation excessive, création de tensions internes et transmission des contraintes plus profondes.

Aujourd’hui, a contrario, l’évolution des matériaux, du collage dentinaire, des possibilités d’isolation et de matriçage (digue, crampons, téflon, etc) permet d’adopter une philosophie de conservation plus biologique et plus respectueuse des tissus résiduels.

Ceci amène à reconsidérer les principes visant à choisir le type de RCR en fonction du délabrement, pour privilégier un choix en fonction des possibilités d’isolation et de collage (fig5a-c).

Recommandations cliniques

La préservation de la dentine cervicale est donc la clé de la conservation des dents fortement délabrées nécessitant un ancrage radiculaire. Les principes d’économie tissulaire doivent donc guider les choix du praticien ayant posé l’indication d’une coiffe périphérique. Ils s’appliquent à différents niveaux :

  • La mise en place d’un tenon est-elle impérative ? En présence d’une cavité camérale suffisante, particulièrement dans les secteurs molaires, la réalisation d’une endocouronne (ou endocrown) peut être une solution alternative. Une autre solution pouvantpeut être l’utilisation sans tenon de cette zone de rétention camérale pour réaliser une reconstitution en composite ou « composicore », l’ensemble étant alors soit recouvert par une coiffe périphérique soit par une reconstitution en céramique collée.
  • Les préparations périphériques réduisent la dentine cervicale par fraisage de limites cervicales souvent trop profondes. L’utilisation de matériaux modernes et esthétiques (céramiques renforcées au disilicate de lithium, zircone) permettent des préparations moins mutilantes en vestibulaire que les techniques céramo-métalliques (absence d’opaque pour masquer le métal notamment). Les limites palatines des incisives maxillaires, inaccessibles au niveau esthétique doivent être les plus fines possibles (0.8mm) pour protéger le cerclage dans cette zone particulièrement exposée aux forces antéro-postérieures.

Les préparations dites verticales (vertical prep) présentent des avantages à explorer sous l’angle de la préservation tissulaire cervicale et de la prévention des fractures.

  • En présence d’un cerclage périphérique d’au moins 2 mm, le choix du type de RCR n’influence pas le pronostic. Dans ces conditions, la préparation camérale d’un inlay-core avec mise de dépouille interne et le forage radiculaire entrainent des pertes tissulaires inutiles. Le choix d’une RMIPP permet de s’affranchir de ce risque.
  • La multiplication des ancrages radiculaires (clavettes) et l’augmentation de diamètre ou de longueur des tenons fragilisent les racines particulièrement sur les racines grêles ou courbes. Le choix d’un tenon fibré collé comme ancrage radiculaire permet de limiter la perte tissulaire.
  • Le recours à des techniques de collage et l’utilisation de matériaux à module d’élasticité proche de la dentine permettent de limiter la transmission des forces et participent à leur amortissement.
  • En cas de compromis thérapeutique, le choix d’une RMIPP est uneune solution à privilégier car elle préserve le plus les tissus environnants. En effet, pour une RMIPP, l’échec se produit le plus souvent par rupture adhésive (descellement de la prothèse) ou par rupture cohésive (fracture de la reconstitution) jouant le rôle de rupteur de force précédant la fracture radiculaire et préservant ainsi les tissus parodontaux environnants (fig 6a-e).

Conclusion

Les matériaux modernes et l’évolution des techniques de collage dentinaire tendent à limiter les indications des inlay-core à de simples exceptions, la plupart du temps liées à l’impossibilité absolue d’isoler la dent pour le collage.

Dans tous les cas, le choix d’une RMIPP alliant tenon fibré et composite dual est le choix qui entraine le moins de risque parodontal en cas d’échec.

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Bibliographie :

  1. DIETSCHI D, DUC O, KREJCI I, SADAN A. Biomechanical considerations for the restoration of endodontically treated teeth: a systematic review of the literature–Part 1. Composition and micro- and macrostructure alterations. Quintessence Int. 2007 Oct;38(9):733-43.
  2. ABOUDHARAM G, LAURENT M. Évolution et indications des reconstitutions corono-radiculaires indirectes. Cah. Prothèse. 2001;116:6171.
  3. BROUSSEAUD J, BARTALA M, BLANCHARD JP, FAUNY S : Restaurations corono-radiculaires coulées (inlay-core) : indications et procédures. Réalités Cliniques 2011. Vol. 22, n°1 : pp. 57 – 64 
  4. PIERRISNARD L, BOHIN F, RENAULT P, BARQUINS M. Corono-radicular re- construction of pulpless teeth: a mechanical study using finite element analysis. J Prosthet Dent 2002; 88(4): 442-448. 
  5. ATTAR N, TAM LE, MCCOMB D. Mechanical and physical properties of contemporary dental luting agents. J Prosthet Dent. 2003; 89(2): 127-134. 
  6. TORBJORNER A, FRANSSON B. A literature review on the prosthetic treatment of structurally compromised teeth. Int J Prosthodont 2004; 17: 369-376. 
  7. PEREIRA JF, de ORNELAS F, RODRIGUES CONTI PC, do VALLE AL. Effect of a crown ferrule on the fracture resistance of endodontically treated teeth restored with prefabricated posts J Prosthet Dent 2006 ; 95(1) : 50-54.
  8. CLOET E, DEBELS E, NAERT I. Controlled Clinical Trial on the Outcome of Glass Fiber Composite Cores Versus Wrought Posts and Cast Cores for the Restoration of Endodontically Treated Teeth: A 5-Year Follow-up Study. Int J Prosthodont. 2017 Jan/Feb;30(1):71-79.
  9. NAUMANN M, SCHMITTER M, FRANKENBERGER R, KRASTL G. “Ferrule Comes First. Post Is Second!” Fake News and Alternative Facts? A Systematic Review J Endod. 2018 Feb;44(2):212-219.
  10. JOTKOWITZ A, SAMET N. Rethinking ferrule – a new approach to an old dilemma. British Dent J. 2010; 209(1): 25- 33. 

À propos de l'auteur

Dr Julien BROUSSAUD
Docteur en chirurgie dentaire

Formation associée

Dernière mise à jour le 13 février 2024