Les composites antérieurs en technique directe

En 2018, dans la revue Réalités Cliniques, Romain Chéron, coordinateur d’un numéro sur les composites, débutait ainsi son éditorial : « Peut-on encore créer quand tout a été fait ? », avant de poursuivre : « Le composite ne s’invente plus dans ce domaine de nouveauté fracassante », et de terminer : « L’enjeu d’aujourd’hui n’est ainsi plus de prouver que ça marche, mais de trouver comment faire marcher encore mieux, encore plus beau, encore plus longtemps » [1].
Et certains auteurs de ce volume nous montraient comment « faire marcher encore mieux » avec le composite. Les réseaux sociaux ne sont pas non plus en reste pour nous montrer comment faire marcher encore mieux, encore plus vite, encore plus esthétique, encore plus…
Quand, mon ami Frédéric Raux, coordinateur de ce numéro spécial Adhésion, m’a demandé d’écrire cet article sur les composites antérieurs, je me suis donc interrogé sur sa nécessité. Car je n’ai rien à montrer d’« encore plus… ».
Mes Maîtres, le Professeur Michel Degrange et le Dr Gil Tirlet, ont toujours insisté sur la nécessité de connaître les fondamentaux en restauratrice comme en prothèse. Cet article n’aura donc pas la prétention de faire le buzz en montrant « encore plus… », mais juste d’être dans la lignée de leur enseignement en revenant sur les points essentiels et fondamentaux qui permettent de réaliser une restauration antérieure en composite.

Pourquoi faire des composites antérieurs ?

Le choix et l’application correcte de différentes masses de résine composite, par technique de stratification, permettent d’obtenir des restaurations d’apparence parfaitement naturelle [2-10].
Le potentiel esthétique élevé des résines composites associé à leur bon comportement mécanique fait de ce matériau, depuis plus de vingt ans, une alternative à la céramique dentaire [11]. Il présente trois avantages :
– un traitement peu mutilant et respectueux du capital dentaire des patients ;
– une bonne fiabilité immédiate et à terme grâce aux performances de l’adhésion aux tissus dentaires calcifiés [12] ;
– un rapport coût/bénéfice/risque [13] incomparable..

Indications

Cinq grandes indications peuvent être retenues pour la réalisation de composite antérieur :
– lésion carieuse (fig. 1 à 5) ;
– fracture coronaire (fig. 6 à 7) ;
– modification de forme dentaire ;
fermeture de diastème (fig. 8 à 9) ;
– transformation de dent riziforme (fig. 10 à 11) ;
– dyschromie dentaire (fig. 12 à 13) ;
– usures (fig. 14 à 15).

Quels matériaux utiliser ?

Adhésif

Les qualités d’adhérence et d’étanchéité de l’adhésif doivent non seulement être immédiates, mais aussi durables pour éviter les colorations marginales, les caries récurrentes, les sensibilités, voire la perte de la restauration, qui sont autant de phénomènes de dégradation limitant la longévité des traitements. Au niveau des marges amélaires, ce critère apparaît bien établi depuis longtemps non en raison des qualités intrinsèques des adhésifs, mais par le biais du mordançage avec des solutions d’acide phosphorique [12]. Dans le secteur antérieur, quel que soit le design de la restauration, le substrat amélaire reste majoritaire à la dentine. Nous préconisons donc l’utilisation d’un adhésif avec prémordançage à l’acide phosphorique appliqué 30 secondes sur les plages amélaires et 15 secondes sur les plages dentinaires.

Composite

On privilégiera les composites microhybrides et les micro- hybrides nanochargés en viscosité standard photopolymérisables qui conviennent pour toutes les indications cliniques des composites antérieurs [14].

Quelle forme de préparations dentaires ?

La forme de préparation dentaire est conditionnée par le module d’élasticité du composite utilisé. Pendant de nombreuses années, les biseaux longs ont été préconisés, car les composites utilisés étaient de type « microchargés ». Aujourd’hui, l’utilisation de composites microhybrides (avec ou sans nanoparticules) nous incite à réaliser des préparations de type « butt-margin » ou des biseaux courts, voire l’absence de préparation [6].

Il est important de polir la limite dentaire à l’aide de polissoir en silicone ou de disque de polissage (les mêmes instruments que lors des étapes de finition) afin d’éliminer les prismes d’émail non soutenus qui risqueraient d’être à l’origine, dans le temps, de l’apparition d’un effet de craquelure au niveau du joint dent/restauration [15].

Quelle technique utiliser ?

Différents concepts et méthodes ont été proposés au fur et à mesure de l’évolution des qualités optiques des résines composites [2, 3, 15, 16]. Aujourd’hui, la technique la plus utilisée est la stratification « naturelle » ou anatomique, ou stratification NLC (Natural Layering Concept), qui consiste à reconstituer les différents tissus durs de l’organe dentaire par des résines composites spécifiques. Ce concept a été proposé par Didier Dietschi dès 1997, qui parla « d’imiter la nature » avec la stratification « naturelle » [3]. Dans cette technique de stratification, les tissus dentaires sont remplacés par des composites ayant des propriétés optiques proches de celles des tissus qu’ils remplacent. Il n’y a donc que deux composites, un pour la dentine et un pour l’émail. Ils sont placés en couche de la même épaisseur que les tissus qu’ils remplacent, à la seule différence que la dentine recouvre une partie de l’émail pour cacher la transition entre la restauration et la dent (fig. 16). Dans certaines situations cliniques nécessitant de reproduire des caractéristiques colorimétriques plus détaillées (opalescence, zone ambrée, taches d’hypoplasie), il est possible d’utiliser, en plus, des masses de caractérisation qui se présentent souvent sous la forme de composites fluides. Ces caractérisations sont placées entre la dentine et la dernière couche d’émail.

La stratification anatomique ou naturelle se compose de quatre étapes (fig. 17 et 18) :
– réalisation d’un mur palatin en utilisant une masse de composite « émail ». Dans les situations cliniques où la dentine apparaît au niveau du bord libre (sujet âgé, dent abrasée…), il est possible de monter le mur palatin avec du composite de masse dentine ;
– la masse « dentine » de corps est appliquée de façon à recréer les lobes dentinaires. Cette étape peut s’effectuer en une ou deux applications de composite (en fonction de l’épaisseur de la dent, car n’oublions pas que chaque incrément de composite ne doit pas dépasser 2 mm d’épaisseur pour permettre une photopolymérisation optimale du composite) ;
– caractérisation par incorporation des masses « effets » (bleuté, blanchâtre…) afin de recréer des taches d’hypoplasie, des fissures… (étape non obligatoire) ;
– apposition d’une masse « émail » de surface.

Comment choisir la couleur ?

La prise de couleur s’effectue dans une bouche propre et sur des dents hydratées (une dent sèche apparaît toujours moins translucide) [17].
Il faut éviter d’utiliser des teintiers classiques utilisés en prothèse, mais préférer les nuanciers spécifiques de chaque système de composite. Ceux-ci sont généralement fabriqués avec le composite de restauration. Si ce n’est pas le cas, il est possible de créer son propre teintier avec son matériau composite.

La teinte et la saturation de la dentine sont enregistrées dans la zone cervicale de la dent. Les caractéristiques de l’émail sont, elles, observées au niveau des zones proximales ou du bord libre. Quant aux effets de masse, quand ils sont présents, ils doivent être enregistrés dans la zone moyenne de la dent [18, 19] (fig. 19).

Après avoir sélectionné les masses de composite, de petits échantillons peuvent être placés sur la dent pour mieux visualiser leur intégration (fig. 20).

L’utilisation de la photographie peut être d’une aide précieuse lors de l’étape de prise de couleur. La possibilité d’avoir une image à fort grossissement permet de mieux apprécier les caractéristiques de la dent à restaurer. La réalisation de clichés en noir et blanc aide aussi à mieux objectiver la luminosité de la dent. Enfin, l’utilisation de filtres polarisants permet d’atténuer les effets liés à l’émail, permettant de mieux objectiver l’anatomie interne de la dent au niveau des rapports tridimensionnels émail/dentine/masses de caractérisation [20].

Finition et polissage

La finition d’une restauration en composite se caractérise par :
– l’élimination des excès de matériau au niveau du joint dent/restauration ;
– l’élimination de la couche inhibée par l’oxygène de l’air qui est perméable aux colorants ;
– le perfectionnement de la forme de la restauration et de la caractérisation de surface.
Le polissage représente l’étape par laquelle la surface du composite devient lustrée et donc moins rugueuse, facilitant l’élimination de la plaque dentaire et permettant de s’approcher de la texture de l’émail des dents adjacentes.

Ces deux étapes sont intimement liées et se révèlent très importantes pour améliorer l’apparence et la longévité des restaurations en composite et prévenir le risque d’adaptation marginale déficiente, de coloration marginale, de changement de couleur du matériau lui-même et d’infiltration carieuse [21-23].

En revanche, les techniques de finition et de polissage, si elles ne sont pas bien conduites, peuvent également causer un préjudice à la longévité des restaurations en composite [24-27], notamment par le dégagement de chaleur [21, 23] et la direction des instruments pouvant causer la rupture du lien adhésif.

De ce fait, la manipulation du composite lors de son insertion doit être telle que la finition sera réduite au minimum. À ce titre, afin de limiter l’incorporation de bulles et de porosité, le composite devra toujours être manipulé par compression et non par lissage ou étirement comme on voudrait le faire avec une spatule de bouche. Chaque masse de composite sera positionnée et déplacée par compression à l’aide d’un instrument à composite.

Les techniques de finition et de polissage comprennent plusieurs étapes : le prépolissage, le polissage et le lustrage ou brillantage.

Prépolissage

Il a pour but d’affiner :
– l’anatomie primaire ou macro-anatomie. Une attention particulière sera accordée à la position des lignes de transition, aux contours cervical et horizontal des différentes faces de la dent, au bord libre, aux angles mésial et distal, ainsi qu’aux faces proximales ;
– l’anatomie secondaire et tertiaire ou micro-anatomie. Elle correspond à la macro-texture de surface (convexité, concavité, lobes) et à la micro-texture (stries de Retzius et périkématies).
Différentes propositions d’instruments ont été faites pour réaliser le prépolissage : fraises en carbure de tungstène, fraises diamantées, disques à polir, bistouri, gommes en silicone, strips abrasifs.

Dans le cadre de notre pratique, nous préférons utiliser des fraises diamantées bague rouge (type fraise à congé) ainsi que des disques souples (par exemple, Sof-Lex PopOn Discs®, 3M). Ces derniers sont utilisés à basse vitesse sans spray d’eau.
Ces instruments sont surtout utilisés pour marquer les zones proximales, les lignes de transition et polir les zones planes sans morphologie particulière.

L’utilisation de strips abrasifs métalliques ou en polyester permet de mettre en forme les zones proximales et les angles de transition. Lors de leur manipulation, les strips devront décrire une forme de « S » et non pas de « U », sous peine de réduire la face proximale et perdre ainsi la qualité du contact proximal [28].

Polissage

Il permet d’éliminer les rayures provoquées par l’utilisation de fraises lors de l’étape de prépolissage. Il s’effectue avec des disques souples de faible ganulométrie, des gommes en silicone et des brossettes imprégnées en carbure de silicium.
Les gommes utilisées sans pression à une vitesse proche de 5 000 tr/min permettent d’élimer les rayures du prépolissage tout en préservant la micro-anatomie. Utilisées avec une pression importante à 10 000 tr/min, elles permettent de travailler la macro-anatomie en travaillant sur les concavités, convexités…

Lustrage et brillantage

Le lustrage a pour objectif d’optimiser le brillantage entamé lors du polissage. Les zones de brillance maximale sont les zones convexes et les lignes de transition ; elles alternent avec des zones concaves de moindre brillance. L’association des deux permet d’obtenir un aspect naturel de la surface de la restauration.

Les brossettes en carbure de silicium (Brushin, Diatech ; Occlubrush®, Kerr) sont utilisées à basse vitesse sans pression et sans spray d’eau, elles permettent d’obtenir un brillantage de surface.
Le lustrage est réalisé avec des pâtes d’oxyde d’alumine (Enamel Plus Shiny, Micerium/Bisico) avec une brossette en poils de chèvre ou un feutre de polissage. Ces lustrage et brillantage finaux ont pour objectif de révéler la teinte en profondeur du composite [29] et les caractéristiques de surface créées initialement.

Les figures 21 à 35 résument en images les étapes détaillées.

Conclusion

La technique décrite dans cet article a plus de vingt ans, mais elle fait toujours référence, car elle permet d’obtenir des résultats prévisibles et reproductibles. Il n’en demeure pas moins que les restaurations antérieures en composite restent opérateur-dépendantes. La maîtrise de cette technique avec une utilisation correcte des composites permet aux praticiens d’avoir une alternative aux restaurations indirectes de type facette ou couronne.

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À propos de l'auteur

Docteur en Chirurgie dentaire

Formation associée

Dernière mise à jour le 13 février 2024