Fermeture de béance antérieure : quand la psychologie réoriente le protocole ortho-chirurgical initialement prévu

Auteur : Guillaume Lecocq

 

Cas clinique

LEn 2008, la patiente, âgée de 34 ans, se présente pour le traitement de ses « dents mal placées, et de l’écart entre les dents du haut et du bas » (fig. 1). Elle a déjà bénéficié d’un traitement adolescent par plaque amovible maxillaire.

Au niveau exobuccal, la patiente présente un visage convexe avec un étage inférieur de la face augmenté et une absence de contact bilabial au repos traduisant un contexte dysfonctionnel. Le sourire est gingival et étroit.

L’analyse endobuccale et l’étude céphalométrique (fig. 2, tableau 1) confirment le diagnostic de classe II squelettique hyperdivergente avec une classe II molaire et canine bilatérale, associée à un encombrement, à une dysharmonie du sens transversal par endoalvéolie maxillaire, et une béance antérieure par infra-alvéolie incisive maxillaire dans un contexte dysfonctionnel de la musculature péri-labiale et mentonnière.

Il existe également une entité anatomique appelée « sillon palato-gingival » qui se présente comme un puits palatin au niveau des incisives maxillaires. Ces sillons correspondraient à une tentative avortée de formation d’une racine supplémentaire.

Si ces sillons sont profonds, alors une communication entre la pulpe et une poche parodontale est possible et peut, par conséquent, être à l’origine d’une lésion endo-parodontale [4] (fig. 3).

La radiographie panoramique confirme la formule dentaire complète et la présence d’une lésion apicale sur 36 qui sera traitée avant traitement orthodontique.

Le diagnostic établit le cadre squelettique, alvéolo-dentaire et fonctionnel dans lequel le traitement orthodontique va se dérouler. Il fixe donc les limites et contraintes permettant de définir les objectifs de traitement, et donc les corrections souhaitées. Ici, les objectifs de traitement sont de corriger la dysharmonie du sens transversal, de fermer la béance antérieure, de corriger l’encombrement, d’obtenir une classe I molaire et canine et de réduire l’exposition gingivale au sourire.

Ensuite vient le plan de traitement qui détermine la nouvelle position des dents et corollairement la direction du mouvement à effectuer pour atteindre les objectifs. Ici, il consiste à corriger la version des secteurs latéraux maxillaires pour corriger les rapports transversaux interarcades. La fermeture de la béance par correction de l’infra-alvéolie incisive maxillaire, donc égression incisive, va aggraver l’exposition gingivale au sourire : il faut trouver une solution et envisager une réorientation du plan d’occlusion pour repositionner les incisives maxillaires, puis fermer la béance par rotation antérieure de la mandibule.

Finalement, les moyens de traitement deviennent évidents : est ainsi envisagée une chirurgie maxillaire d’impaction maxillaire antérieure, pour corriger le sourire gingival, et postérieure, pour réorienter le plan d’occlusion ; une chirurgie mandibulaire de dérotation et avancée pour rétablir l’occlusion, associée à une génioplastie pour finaliser la correction de la dimension verticale de la face et rétablir un contexte fonctionnel normal. Une rééducation par un kinésithérapeute est prévue en post-chirurgical.

Étapes cliniques

La patiente est appareillée en juin 2008 avec un multi-attache lingual aux deux arcades pour la préparation pré-chirurgicale (fig. 3). Le travail des arcs et des élastiques criss cross et des élastiques de classe III aboutit à un bon nivellement, à un alignement intra-arcade et à une modification des formes d’arcade permettant une bonne congruence interarcade confirmée par les empreintes préchirurgicales d’octobre 2009. La chirurgie initialement prévue début janvier 2010 est donc confirmée : la patiente reverra fin décembre 2009 le chirurgien et l’anesthésiste pour les derniers examens.

Ainsi, les boutons vestibulaires nécessaires pour la chirurgie sont prévus début janvier 2010 et une visite de contrôle post-chirurgicale est planifiée début février 2010.

La patiente ne se présente pas au rendez-vous orthodontique de janvier 2010 ni à la chirurgie, alors qu’elle s’était rendue à la consultation préopératoire avec le chirurgien et l’anesthésiste. S’ensuit une série d’appels et de courriers pour recontacter la patiente : pas de réponse.

Elle revient finalement en mai 2010, non opérée et sans suivi depuis presque huit mois. Elle m’explique que, suite à la consultation avec l’anesthésiste, elle a eu « peur de ne pas se réveiller après l’opération », qu’elle a paniqué et stoppé unilatéralement le traitement.

À ce stade, soit j’arrête le traitement, soit je réévalue la situation et trouve une solution non chirurgicale.

Réorientation du traitement

Les ancrages osseux sont souvent décrits comme un outil utile en alternative à la chirurgie. Cependant, ils n’ont d’intérêt que si leur utilisation est réfléchie dans le cadre du quadriptyque : diagnostic, objectifs de traitement, plan de traitement puis moyens de traitement.

Le diagnostic est inchangé. Mais la limitation des moyens de traitement liée au refus de la chirurgie impose de revoir les objectifs de traitement initiaux pour trouver un compromis. La correction de la dysharmonie du sens transversal et de l’encombrement a été effectuée lors de la préparation initiale. Il reste donc à gérer la fermeture de la béance antérieure, et l’obtention d’une classe I molaire et canine. La réduction de l’exposition gingivale au sourire devient plus problématique, car elle nécessite une ingression incisive supérieure et donc une majoration de la béance…

Le plan de traitement nouvellement modifié consiste à ingresser les secteurs maxillaires postérieurs pour réduire la dimension verticale postérieure et à obtenir une rotation anti-horaire de la mandibule pour réduire la béance antérieure. L’exposition gingivale sera contrôlée par le multi-attache maxillaire et une courbe de Spee dans l’arc permettra de contrôler l’extrusion antérieure liée à la mécanique sur minivis. Aucune traction élastique antérieure ne sera placée pour ne pas aggraver la position verticale de l’incisive supérieure. Une rééducation linguale est mise en place en complément.

Finalisation du traitement

Le traitement reprend en juin 2010. Les minivis sont placées en vestibulaire et en lingual des secteurs postérieurs. Les chaînettes élastomériques de traction sont placées en hamac de vestibulaire en lingual et recouvrent la surface occlusale. Les forces de mastication peuvent les sectionner. Elles sont donc complétées par des chaînettes élastomériques joignant les minivis palatines aux attaches linguales, et d’autres joignant les minivis vestibulaires à des boutons collés sur les faces vestibulaires des dents à ingresser. Il est essentiel de prendre en charge toutes les dents maxillaires ayant un contact occlusal avec l’arcade mandibulaire pour lever toute interférence occlusale qui perturberait la dérotation mandibulaire et donc la fermeture de la béance. Ici, les premières et deuxièmes molaires ainsi que les deuxièmes prémolaires sont prises en charge par les tractions sur minivis (fig. 4).

En novembre 2010, le résultat de fin de traitement montre une classe I molaire et canine à droite alors que, à gauche, la classe II dentaire a été améliorée sans toutefois être totalement corrigée. Les médianes incisives sont concordantes et le recouvrement incisif suffisant pour permettre un contact inter-incisif.

Les dernières photographies de décembre 2011 (fig. 5) montrent le résultat consolidé par le port de gouttières bimaxillaires de contention.

Discussion

Le recouvrement incisif est faible : l’ingression des secteurs latéraux ne permettait pas de meilleur recouvrement. En effet, dès lors qu’un contact sur les premières prémolaires maxillaires est apparu, la correction verticale a été ralentie. Il aurait été possible de déplacer ou d’ajouter des minivis, mais plus l’on se rapproche du secteur antérieur, plus la force ingressive aurait concerné les incisives et risqué d’aggraver la béance.

Finalement, la superposition générale (fig. 6) montre que la solution mise en place a permis de fermer l’angle maxillo-mandibulaire : le point pogonion s’avance de 2,5 mm et s’élève de 3,6 mm. Le bord libre de l’incisive mandibulaire s’est repositionné verticalement de 3 mm et avancé de 2,3 mm tandis que le bord libre de l’incisive maxillaire est resté stable verticalement mais s’est avancé de moins d’1 mm.

Pour les superpositions locales, au niveau mandibulaire, les molaires et incisives ont peu bougé : la très légère version incisive s’explique par le nivellement/alignement. Le mouvement incisif observé sur la superposition générale est donc lié au repositionnement mandibulaire. Au maxillaire, l’incisive reste stable comme souhaité, et la molaire s’ingresse de 3,1 mm, ce qui a contribué à la fermeture de l’angle maxillo-mandibulaire.

Le résultat dentaire obtenu est correct, mais n’est pas le même que celui possiblement obtenu avec chirurgie. Il aurait certainement été possible d’obtenir un meilleur calage bilatéral de classe I molaire et canine ainsi qu’un recouvrement plus important.

Également, le cadre squelettique a été changé par le repositionnement mandibulaire rendu possible par l’ingression molaire maxillaire : mais c’est un changement bien plus faible que le changement qu’aurait permis la chirurgie. Et, d’un point de vue fonctionnel, un changement chirurgical du cadre osseux aurait permis de réduire davantage la dimension verticale antérieure et d’assurer un meilleur contexte fonctionnel avec un meilleur contact bilabial.

Partant de là, il est légitime de s’interroger sur le risque de récidive et la stabilité à long terme. La béance est liée au contexte squelettique qui a été modifié de manière modérée, ne permettant pas, en fin de traitement, un déroulement du comportement fonctionnel dans un cadre squelettique idéal : la rééducation fonctionnelle effectuée avec le kinésithérapeute ne peut modifier le cadre squelettique et la fonction ne peut que s’adapter à celui-ci. La contention mise en place a donc consisté en un port nocturne de gouttières bimaxillaires.

De nombreux articles décrivent des fermetures de béance à l’aide de minivis : la mécanique mise en place doit être analysée selon le cas et la situation initiale. La minivis n’étant qu’un outil, donc un moyen de traitement, il faut s’interroger sur le plan de traitement mis en place et son adéquation avec le diagnostic effectué. En effet, les minivis peuvent servir à l’ingression molaire seule, tout comme à l’égression incisive seule ou à une combinaison des deux mouvements. Le résultat occlusal peut être très bon en fin de traitement, mais il faut qu’il soit cohérent et légitime par rapport à la situation initiale, au risque de faire de l’orthodontie spectacle avec des cas exceptionnels et peu, voire non reproductibles.

 

Conclusion

Le raisonnement du praticien est essentiel et doit reposer sur le quadriptyque : diagnostic, objectifs de traitement, plan de traitement et moyens de traitement. L’ordre de ce quadriptyque est essentiel, car les moyens mis en place ne sont que la conséquence des mouvements que l’on veut effectuer en conformité avec les objectifs et le plan de traitement imposés par le contexte squelettique, alvéolo-dentaire et fonctionnel analysé lors du diagnostic. Le moyen de traitement sert donc le raisonnement.

Ici, le contexte de refus de chirurgie a modifié le choix des moyens de traitement initiaux et m’a orienté vers l’utilisation des minivis et donc la réduction des objectifs de soins. Le traitement est donc un traitement de compromis, car la limitation des moyens de soins m’a obligé à réduire les objectifs de traitement.

Lorsque l’outil est imposé par le contexte, il vient infléchir, voire tordre le raisonnement initial pour l’orienter vers un traitement systématiquement de compromis : les choix ont été faits non pas selon les critères diagnostiques, mais selon les limites imposées par le patient ou par le praticien lui-même, dont la pratique se limite à un choix unique d’appareil ou à l’utilisation systématique d’un outil ou d’un protocole. En effet, cela entraîne une uniformisation des traitements proposés : quand on a un marteau, tout ressemble à un clou.

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Bibliographie

1. Vela-Hernandez A, Lopez-Garcia R, Garcia-Sanz V, Paredes-Gallardo V, Lasagabaster-Latorre F. Nonsurgical treatment of skeletal anterior open bite in adult patients: posterior build-ups. Angle Orthod 2017;87(1):33–40.

2. Xun C, Zeng X, Wang X. Microscrew Anchorage in Skeletal Anterior Open-bite Treatment. Angle Orthod 2007;77(1):47-56.

3. Hart T, Cousley R, Fishman L, Tallents R. Dentoskeletal changes following mini-implant molar intrusion in anterior open bite patients. Angle Orthod 2015;85(6):941-8.

4. Hea Y, Wang Y, Wang X; Jianyue Wang J; Bai D; Guo Y. Nonsurgical treatment of a hyperdivergent skeletal Class III patient with mini-screw–assisted mandibular dentition distalization and flattening of the occlusal plane. Angle Orthod 2022;92(2):287-93.

5. Akl H, Abouelezz A, El Sharaby F, El-Beialy A, El-Ghafour M. Force magnitude as a variable in maxillary buccal segment intrusion in adult patients with skeletal open bite: A double-blind randomized clinical trial. Angle Orthod 2020;90(4):507-15.

6. Burrow J. Biomechanical Considerations in the Correction of Anterior Open Bite with Maxillary Skeletal Plates. J. Clin. Orthod 2015;49(1):35-45.

À propos de l'auteur

Dr Guillaume LECOCQ
Chirurgien-Dentiste Spécialiste Qualifié en Orthopédie Dento-Faciale
  • Attaché à l’université de Paris V d’enseignement pour le Diplôme Universitaire d’Orthodontie Linguale – Titulaire du Board Français d’Orthodontie
  • Trésorier de la Association Française d’Orthodontie Numérique et Digitale
  • Président de l’European Society of Lingual Orthodontic 2018
  • Membre du Collège Européen d’Orthodontie
  • Aligneurs

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Dernière mise à jour le 12 septembre 2024